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Francesca Gabbiani

1965
Francesca Gabbiani se considère comme une « technicienne de surface » qui remplit l’espace de peintures, de dessins, de collages. Pourtant, ce sont ses imposants collages colorés qui font sa renommée internationale à partir des années 1990. Excentriques et inquiétants, ils suscitent un faux sentiment de familiarité et de réconfort, tout un utilisant des moyens d’expression que Gabbiani estime « modeste[s], sans prétention », tels que le papier-coupé. Nourries des scènes d’inspiration gothique ou mythologique, des films d’horreur ainsi que des motifs architecturaux et décoratifs, ses œuvres lancent un défi au spectateur qui se voit projeté dans un univers invraisemblable, suspendu dans le temps et dans l’espace, entre le souvenir du monde réel et les possibilités infinies de l’imagination. Cette hésitation inquiétante, de filiation freudienne, entre forte artificialité et étrangeté familière parcourt l’intégralité de son travail et place l’idée de la mémoire au centre de sa pratique artistique.

La notion de réminiscence traverse également sa biographie, partagée entre trois pays distincts. En « immigrée totale », Francesca Gabbiani est née au Canada, a grandit en Suisse et a quitté son pays adoptif pour une « ville d’artistes » aux États-Unis, notamment Los Angeles. Ses études à l’École supérieure des beaux-arts de Genève et, par la suite, à la Rijksakademie van Beeldende Kunsten d’Amsterdam, lui permettent de poursuivre sa formation artistique avec un master à UCLA, l’Université de Californie à Los Angeles. Ces délocalisations récurrentes exercent un impact majeur sur son art, qui s’oriente graduellement vers la représentation des espaces labyrinthiques, abandonnés ou délaissés, habités par des figures magiques ou surréalistes.

Pour Francesca Gabbiani, la réalisation d’un collage commence en général avec une photographie qu’elle prend spontanément sur son téléphone lors de ses balades au sein de l’« enfer citadin », sans centre apparent, qu’est Los Angeles. C’est seulement dans un deuxième temps que l’artiste revient méticuleusement sur les détails de l’image pour les « faire exploser » jusqu’à ce qu’ils prennent la forme d’un dessin. Celui-ci deviendra à son tour « une réinterprétation en grande peinture » avant de se métamorphoser une ultime fois en collage de papier-coupé. Ce long et complexe processus de création, qui déconstruit et reconstruit une image à travers la stratification, dépasse le cadre spontané et expérimental du collage ou du cut-up, en dévoilant des scènes attentivement construites et fortement stylisées.

Laid in the Shade 1 (2008), tout comme And to Come Down (2008) donnent forme à cette rêverie troublante en mettant en avant un cadre naturel improbable, comprenant des fleurs et des champignons géants qui évoquent des attributs vénéneux ou psychédéliques. Au contraire, Maelstrom/After (2009) vise un cadre architectural factice, en projetant à l’avant une cage d’escalier complètement déserte. Dans les deux cas, le choix des couleurs est décisif, car il définit l’intensité de la scène. Gabbiani cherche des teintes extrêmes, audacieuses, qui s’opposent les unes aux autres jusqu’à déclencher une réaction presque physique de rejet ou de fascination de la part du spectateur. Elle ne joue pas uniquement avec une sensation de « déjà-vu », mais également avec celles de « déjà-vécu » et de « déjà-senti », en réactivant une perception immédiate de la part du public.

Devant cet univers attentivement construit, à la frontière du familier et de l’inconnaissable, le spectateur ne peut que s’abandonner à une utopie perpétuelle, à la fois menaçante et captivante.

Francesca Gabbiani vit et travaille à Los Angeles.