En gros plan, dans un cadrage serré, l’ossature proéminente d’une main à la peau étirée et tachetée de roux. En dessous, un amoncellement de courbes d’une chair rouge et potelée : des fraises piquetées de petits grains clairs. Ces six photographies constituent l’un des premiers ensembles de Hannah Villiger composés en Block, genre que l’artiste pratique essentiellement dans les années 1988-1990 et 1993-1996. Les images semblent s’insérer les unes dans les autres, dans un assemblage soigneusement composé par l’artiste.

En cernant au plus près les détails de sa peau, Villiger saisit des points de vue inédits et inhabituels sur le corps. Du dialogue entre les taches de rousseur agrandies et le granulé naturel des fraises naissent alors des analogies visuelles insoupçonnées. Rouge passion ou rouge sang, le pourpre éclatant des fruits contraste par ailleurs avec la pâleur de la peau sous la lumière blanche du flash. Le jeu des associations formelles et des dissonances chromatiques confère force et poésie à cet ensemble, qui sollicite l’imaginaire et tend à l’abstraction.

Hannah Villiger conçoit la photographie en termes de reliefs et de matière et pose sur les formes le regard d’un sculpteur. Le titre Bildhauerei (L’atelier du sculpteur) évoque clairement cette relation constante entre l’image bidimensionnelle et le modelé sculptural. Pour parvenir à ces effets de volume, l’artiste travaille ses tirages en plusieurs étapes et la prise de vue n’est que le début de la création d’une œuvre. Les Polaroïds instantanés sont sélectionnés, rephotographiés avec un appareil reflex et agrandis au format invariable de 123 x 125 centimètres – des dimensions maximales pour les années quatre-vingt auxquelles elle restera fidèle. Seuls ou compris dans un ensemble, ils sont toujours réalisés en exemplaire unique, malgré leur nature reproductible. À travers cette conception novatrice de la photographie, Villiger a contribué à son accession au statut de médium artistique autonome.