Cette peinture fait partie d’une série de toiles de taille identique, aux titres énigmatiques. L’artiste y exploite les qualités de l’encre, l’une de ses matières de prédilection, qu’elle conçoit à la fois comme matériau premier de l’écriture et du témoignage, mais aussi comme véhicule du débordement tant intime que collectif. Elle a choisi ici une encre «phtalo», mise au point dans les années 1930 à partir de colorant phtalocyanine et ayant beaucoup servi pour l’imprimerie, dont le bleu profond permet d’obtenir des niveaux de coloration plus ou moins dilués.

Accueillant à nouveau l’idée de l’aléatoire et de l’accident, chère à sa démarche, elle initie un protocole minimal et laisse le temps et les matériaux faire leur œuvre, dans une volonté de «perdre la maîtrise du geste et échapper ainsi à la notion de création». L’encre bleue infiltre la toile blanche dans un mouvement ascendant en migrant par capillarité sur le tissu absorbant, donnant naissance à des images de paysages arborescents qui évoquent la silhouette de quelques récifs coralliens.

En raison de cette part de processus déléguée au hasard et de l’absence d’intervention humaine, l’artiste n’est ici qu’un simple outil et ne peut maîtriser le résultat, éprouvant parfois – comme elle le confie – un sentiment d’étrangeté face aux œuvres dont elle est pourtant l’auteur. Le procédé de réappropriation s’effectue dans un second temps, celui du questionnement de l’œuvre et de son potentiel expressif et évocateur. Partant d’un désir de faire dialoguer ses créations entre elles, l’artiste imagine cette série de travaux encrés comme une histoire qui raconte, au fil des titres, la déambulation du narrateur se perdant dans une forêt, égarement qui fait subtilement écho à celui vécu par le spectateur devant chaque composition extraite de son contexte.