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Jean-Frédéric Schnyder

Am Thunersee 1-38, 1995
huile sur toile, 38 tableaux
30.0 x 42.0 cm chacun
De prime abord, la série Am Thunersee 1-38 (1995) de l’artiste bâlois Jean-Frédéric Schnyder fait ressortir l’image archétypale d’une Suisse de montagnes et de lacs. La présence majestueuse des Alpes bernoises et la forme pyramidale du sommet Niesen reflétée dans le lac de Thoune s’imposent comme un leitmotiv des trente-huit compositions, évoquant le trait expressif de Ferdinand Hodler, sa palette lumineuse et son agencement rythmé des formes, ainsi que son traitement du motif alpestre. Néanmoins, Schnyder ne se contente pas d’une reproduction emblématique du paysage alpin, mais pastiche le style de Hodler d’une touche plus désinvolte et corrosive, ce qui finit par susciter une triple frustration chez le spectateur, notamment en termes de format, d’authenticité et de technique.

Dans un premier temps, l’option de Schnyder pour un format de poche (30 x 42 cm) met à l’écart toute prétention de grandeur sublime. L’artiste s’acharne à décliner sur une surface sensiblement réduite sa quête implacable de l’infinie beauté contemporaine. Ainsi, Am Thunersee 1-38 s’approprie l’idéal esthétique pour l’égoutter à travers une expérimentation libre avec la couleur, la lumière, le geste et la composition, sans envisager une réelle rivalité avec les maîtres de genre.

Dans un deuxième temps, la série s’attarde davantage sur l’idée de répétition que sur celle d’une représentation singulière du pittoresque. Réinterprétée jour après jour, à des moments différents et dans des conditions météorologiques variées, l’image des sommets suisses miroités par le lac de Thoune est dépourvue graduellement de toute prétention d’unicité et, par déduction, de toute forme d’authenticité.

Finalement, la pratique picturale de Schnyder s’avère trop subtile pour être qualifiée de simple « peinture d’amateur ». En érudit qui maîtrise ses choix et ses références, Schnyder œuvre à une véritable désacralisation de la beauté contemporaine. L’appropriation et la citation ne constituent qu’une méthode de travail, tandis que son regard s’attarde sur les différentes facettes du quotidien. Qu’il s’agisse de la facture, du style, du sujet ou du format, l’un de ces éléments ramène toujours le tableau vers le présent, saisi dans sa matérialité et sa banalité.

Lors de son exposition « Ferdinand Hodler/Jean-Frédéric Schnyder » à la Kunsthaus de Zurich en 2014, Peter Fischli remarque notamment que c’est cet intérêt de Schnyder pour l’élaboration d’un « catalogue des concepts » et d’une « collection des formes d’expression » qui lui confère sa singularité. Au rebours des courants artistiques dominants des années quatre-vingt-dix, il renoue audacieusement avec la tradition de la peinture figurative, plaidant pour une reconnaissance du non-spectaculaire, de l’insignifiant et de l’insolite dans l’art. Schnyder ne dédaigne aucune forme d’expression, aucune technique. Tout sujet visible qui touche au quotidien est légitime : les salles d’attente, les autoroutes, les vues d’églises, de bancs publics, de mobilier urbain, même les Robidog. « Je voulais peindre tout pour que personne ne puisse me rattraper », admet-il dans un entretien avec Josef Helfenstein. « Je voulais tout couvrir – tout sujet possible : le pittoresque, le moderne, tous les beaux endroits. »

Ainsi, « [c]haque jour, il transforme l’absence de sens en sens [meaninglessness into meaning] […] avec la discipline d’un sceptique et la passion d’un amant » et cela pour confronter à tout moment le spectateur à ses propres attentes esthétiques.
Jean-Frédéric Schnyder, Am Thunersee 1-38, 1995