En 1930, l’artiste néerlandais Theo Van Doesburg avec quatre de ses camarades déclare ouvertement la guerre à toute forme d’impressionnisme, de sensibilité et de subjectivité en art. Le groupe Art concret et la revue du même nom qu’ils fondent à Paris plaident pour une création rationnelle, universelle, « entièrement conçue et formée par l’esprit », sans « rien recevoir des données formelles de la nature, ni de la sensualité, ni de la sentimentalité »1.
Héritier du néoplasticisme de Mondrian et des principes promus par le mouvement De Stijl, l’Art concret recherche « la clarté absolue », au travers d’une construction « simple et contrôlable visuellement », qui n’a pas d’autre signification que soi-même. Les pulsions émotionnelles, perceptibles dans l’abstraction traditionnelle, sont forcloses en faveur d’une composition logique, basée sur des principes mathématiques prédéterminés.
Le foyer zurichois de l’Art concret se cristallise quelques années plus tard, quand Max Bill (1908-1994) – influencé par ses études au Bauhaus et son amitié avec les membres du groupe parisien Abstraction-Création – établit sa propre théorie sur l’Art concret. Bill défend l’idée d’un art rationnel, développé selon ses propres règles, tout en intégrant la vie quotidienne. De la même façon que les artistes de l’association Allianz, à laquelle Bill adhère en 1937, il privilégie l’usage des formes neutres, géométriques, facilement compréhensibles.
Ces artistes concrets zurichois – parmi lesquels Richard Paul Lohse (1902-1988), Leo Leuppi, Walter Bodmer, Verena Loewensberg, Camille Graeser (1892-1980), Gottfried Honegger (1917-2016) et Sophie Tauber-Arp – manifestent une même prédilection pour des agencements géométriques savamment calculés. En ce sens, Lohse optera pour des compositions modulaires à l’intérieur desquelles tous les éléments sont solidaires, indépendants et égaux ; Graeser favorisera des principes de composition systématique, tels que l’addition, la rotation ou la progression, tandis que Honegger finira par confier la production des calculs mathématiques à l’ordinateur. L’effet plastique est celui d’une polyphonie chromatique presque rythmique, qui semble articulée – comme dans les œuvres de Fritz Glarner (1899-1972) – en fonction des rapports formels de type chaud-froid, lumineux-sombre, neutre-intense.
Pour les artistes de l’Art concret, l’œuvre désigne avant tout un ensemble équilibré et cohérent, dont les éléments se définissent par la relation qu’ils entretiennent les uns avec les autres au sein même de l’image. Très souvent, ces rapports deviennent symboliques d’une organisation sociale idéale et démocratique, au fond de laquelle tous les individus bénéficieraient des mêmes droits et libertés.
[1] Carlsund, Doesbourg, Hélion, Tutundjian, Wantz, « Base de la peinture concrète », in Art Concret, n°1, 1930, Paris.